Trois âmes sœurs
EAN13
9782889072576
Éditeur
Zoé
Date de publication
Collection
DOMAINE ALLEMAND
Langue
français
Langue d'origine
allemand
Fiches UNIMARC
S'identifier

Trois âmes sœurs

Zoé

Domaine Allemand

Indisponible
Voici un roman gigogne aux allures de science-fiction, dont on termine la
lecture avec des images percutantes en tête : cette étrange usine où sont
fabriquées des femmes de silicone ; la trajectoire fulgurante d’Ada Lovelace
dans l’Angleterre victorienne, récit d’une femme visionnaire digne d’une « vie
imaginaire » de Jean Echenoz ; ou ces dîners mondains dans un penthouse new-
yorkais, dont l’atmosphère étrange et crépusculaire n’est pas sans rappeler
celle des Androïdes rêvent-ils de montons électriques de Philip K. Dick. Trois
âmes sœurs est un roman musical à la forme audacieuse. Clavadetscher, qui
vient de l’écriture théâtrale, insuffle à sa langue un rythme singulier en
découpant la prose en vers. Certains passages sont ainsi constitués de mots
mis à la ligne, qui, entre poésie et mécanique, brouillent les pistes entre
l’humain et la machine. Martina Clavadetscher renverse le schéma masculin de
la femme créée uniquement pour assouvir un fantasme masculin (l’Eve future de
Villiers de L’Isle-adam, Olympia d’E.T.H Hoffmann…) et imagine une sororité
au-delà des genres humains-non humains. On pense bien sûr au Frankenstein de
Mary Shelley, à laquelle il est fait une référence explicite (les convives
d’Iris portent le nom des parents de Mary Shelley, Godwin et Wollstone). De
son propre aveu, Martina Clavadetscher a d’ailleurs repris la construction
gigogne du récit de Frankenstein, comme un hommage. Résumé Trois âmes sœurs se
présente en trois parties, enchâssées à la manière des matriochkas. Il s’ouvre
avec Iris, qui s’ennuie dans son penthouse de Manhattan en attendant le
prochain dîner mondain. D’emblée, quelque chose intrigue : Iris entretient
avec Eric, l’homme qui partage sa vie, une relation étrange, empreinte de
violence et de domination, qu’Eric fait peser sur elle : « Éric s’approche et
passe sa main sur son épaule, lui caresse la nuque et les cheveux. De la
chaleur se crée. Il appelle cela du réconfort. Et, en effet, les choses
deviennent plus simples, les pensées moins compliquées. » Au cours de ces
soirées mondaines, des invités, toujours les mêmes, sont présents pour
entendre les histoires d’Iris, toujours sous le contrôle d’Eric. Mais un soir,
elle désobéit, et se lance dans un grand récit : « Iris reste calme en
apparence, mais dans sa tête les connexions s’opèrent, de la matière oubliée
resurgit et forme un motif fantastique, une trame nouvelle, un récit tissé
qu’il ne reste plus qu’à déchiffrer. » Cette histoire forme la deuxième partie
du roman, celle de Ling, la « demi-sœur » d’Iris. Employée dans une usine
chinoise qui produit des poupées sexuelles, Ling est chargée de traquer les
moindres défauts de fabrication sur leur corps de silicone : « Bonjour, je
m’appelle Ling. N’aie pas peur, je vais te rendre immaculée, chuchote-t-elle
derrière son masque, et elle commence à examiner le corps à la recherche
d’irrégularités. Elle passe sa main sur la suture latérale, palpe lentement
poignets, bras, côtes et cuisses, son regard clinique cherche des
défectuosités, des résidus accidentels de l’opération de démoulage. (…) Quand
elle en a fini avec la première femme, elle passe à la suivante, et ce corps
de femme ne lui résiste pas davantage, ce corps obéit lui aussi et ressemble
en cela à tous les autres. » Ling aime compter les pas et les secondes et
déteste tout événement inattendu susceptible de dérégler le quotidien. Elle a
appris à décoder les traits d’humour, à sourire ou rire quand il le faut ; à
trouver aussi la bonne distance avec Jon B., le gardien de l’usine attachant
et attentif, que Ling ne laisse pas indifférent. Bientôt, Ling sera appelée à
quitter le secteur rassurant des corps dont il faut vérifier les mensurations
et l’uniformité pour pénétrer dans celui des têtes : « Des yeux artificiels,
sait Ling, et elle esquive les prunelles inanimées. Elle a horreur de ces
microcosmes encapsulés, car quelque chose d’imprévisible luit à leur surface
et elle ne serait pas étonnée si cette armée oculaire se mettait soudain à
pleurer et noyait la pièce de ses larmes collectives. » Là, Ling découvrira
alors que le développement de l’intelligence artificielle destinée à être
implantée dans les poupées est bien plus avancé qu’on ne le prétend, et qu’il
semble même échapper à tout contrôle humain. Cette IA, c’est Harmony, qui
raconte la troisième histoire, le cœur du roman. L’histoire vraie d’Ada
Lovelace, fille d’un Lord Byron très absent, qui grandit engoncée dans le
carcan de l’Angleterre victorienne et rêve de grandes études et de machines à
calculer. Elle parviendra contre vents et marées à étudier les mathématiques
et signera même un article où elle expose sa théorie, considérée aujourd’hui
comme le socle du langage informatique : « Des jours, des nuits durant, Ada
chemine à travers des formes futures et voit le champ des possibles s’étendre
devant elle comme dans un rêve, voit des automates de taille humaine capables
de bouger, chanter, parler, calculer. » Entre ces trois femmes, Iris, Ling,
Ada, le roman tisse un lien de sororité qui franchit les époques et dépeint la
subtile mécanique de la désobéissance qu’elles activent, chacune à sa manière.
Martina Clavadetscher est née en 1979, en Suisse alémanique. Elle a suivi des
études de lettres allemandes et de philosophie avant de se faire un nom comme
dramaturge. Ses pièces de théâtre sont souvent montées en Suisse et en
Allemagne. Engagée comme dramatuge au théâtre de Lucerne pour la saison
2014/2015, elle y réalise sa première pièce « My only friend, the end »,
d’après une chanson de Jim Morrison. Suivront « Un sauvetage laborieux », en
2016 et « Les derniers Européens », en 2017. Son premier roman, «
Knochenlieder » (non traduit en français), est très remarqué par la critique
allemande. Martina Clavadetscher y déploie un style très personnel, fusion de
poésie et d’écriture dramatique : les phrases sont hachées, les retours à la
ligne nombreux pour donner un texte mélodique entêtant. Mais plus encore que
son style singulier, c’est la nature de ses thématiques qui retient
l’attention : le code informatique, le hacking et les jeux vidéos se mêlent à
l’utopie d’un retour à une vie simple, en autarcie. Le rapport ambigu que
l’humain entretient à la technologie se retrouve dans sa pièce « Madame Ada a
des pensées inconvenantes », montée en 2019 au grand théâtre de Leipzig. On
retrouve le personnage principal de cette pièce, la mathématicienne Ada
Lovelace, dans son deuxième roman, le premier à être traduit en français sous
le titre : Trois âmes sœurs. En 2022, elle publie le recueil « Sous les yeux
de tous », dans lequel chaque nouvelle restitue le récit d’une femme
représentée dans les tableaux les plus célèbres de l’histoire. Montée à Berne
en janvier 2023, sa pièce This is a robbery, livre une version actualisée et
féministe de la célèbre pièce de Schiller, Les Brigands.
https://martinaclavadetscher.ch La traductrice Raphaëlle Lacord vit à
Lausanne. Traductrice de romans, mais aussi de théâtre et de littérature pour
la jeunesse, elle a collaboré au volume « Traductions » des Œuvres complètes
de Gustave Roud (Zoé, 2022).
S'identifier pour envoyer des commentaires.