Les Gendres

Marc a une fille, Nature. Elle joue à la marelle, à monter à bicyclette, à se dorer sur les plages, et il Ia prend par la main dans les rues. Mais Nature grandit et de futurs gendres viennent s'interposer entre ell et son père. Des gendres, il y en a toujours plus, haïssables, et semblables à tout ce qui dans la vie est bêtise, mensonge, pourrissement, répression, mort. Dans une sorte de carrousel halluciné, les gendres-PDG, les gendres-CRS, les gendres à bagnoles, à comptes en banque et assurances-vie, les gendres de la Consommation -
sans parler du gendre réel de Marc - tournent dans la tête du père, solitaire, jaloux, perdu. Nature, mariée à Degron, meurt tout doucement, remplacée par Claire Degron, petite bourgeoise pétrifiée sous le poids du Gendre. Le docteur Dumont-Marchand, et son divan de psychanalyste, en velours frappé (sur lequel elle vient régulièrement s'étendre), ne fait que la confirmer un peu plus dans son désastre. Un moment, tandis qu'une houle heureuse soulève la ville, que des pavés bien ajustés s'écrasent sur les faces de gendres-CRS, que des barricades fraternelles s'élèvent, que les bagnoles s'immobilisent, que les usines se vident et que les psychanalystes perdent leurs clients - partis se défouler dans la fête des rues -, ...un moment, Marc croit avoir retrouvé Nature perdue, sous les traits d'une jeune fille, Mai, rencontrée sur un boulevard imprégné de gaz lacrymogènes. Bonheur fugace : les Gendres récupèrent bien vite la ville, et leur règne implacablement rassurant a tôt fait de remettre les bagnoles en marche, les lieux-communs en ordre et la liberté sous les verrous. Marc a cessé d'être père.